Modification du contrat de travail pour cause économique : Attention au formalisme ! (Cass. soc. 29 septembre 2021, n° 19-25.016)

Lorsqu’elle est dictée par un motif économique, la procédure de modification du contrat de travail obéit à un formalisme précis. L’employeur se doit de le respecter sans faille, au risque de voir le licenciement qui serait motivé par le refus de modification du contrat de travail du salarié requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 29 septembre 2021 vient d’en fournir une nouvelle illustration.

Avant d’examiner cet arrêt, il nous faut reprendre le texte de référence applicable en la matière, l’article L. 1222-6 du Code du travail, qui précise :

« Lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à l’article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. Le délai est de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire. A défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée ».

I – Dans quelles situations l’article L. 1222-6 trouve-t-il à s’appliquer ?

  • Tout d’abord, la mise en œuvre de la procédure qui y est définie n’a de sens que si l’employeur n’en est encore qu’à « envisager » de modifier le contrat de travail de son salarié pour un motif économique. Sa décision de modifier effectivement le contrat de travail doit, évidemment, ne pas encore avoir été prise.
  • Ensuite, la modification envisagée doit porter sur un « élément essentiel » du contrat de travail et ce, pour un « motif économique »

    – Qu’est-ce qu’un élément essentiel du contrat de travail ?

Le Code du travail ne dresse pas la liste des éléments « essentiels », ni  celle des éléments « non essentiels » du contrat de travail. En la matière, l’employeur n’a d’autre choix que de s’en remettre à la très abondante jurisprudence rendue en la matière par la Cour de cassation. On peut considérer comme « essentiels » les éléments qui ont été déterminants de l’accord de volonté des parties au contrat de travail. Sans qu’il soit ici question d’en dresser la liste – ce n’est pas l’objet de la présente note – on retiendra que, dans ses grandes lignes et sauf cas particuliers, la jurisprudence considère le plus souvent comme éléments essentiels du contrat de travail, insusceptibles d’être unilatéralement modifiés par l’une des parties sans l’accord de l’autre :

> Le travail convenu,

> La structure de la rémunération,

> Le temps de travail,

> Et, dans une certaine mesure, le lieu de travail.

– Qu’est-ce qu’un motif économique ?

Pour déterminer le motif économique qui doit être à l’origine de la modification du contrat de travail, l’article L. 1222-6 renvoie à la définition du motif économique de licenciement, elle-même donnée par l’article L. 1233-3 du même Code :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

(…).

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise ».

On retrouve ici la notion de « modification d’un élément essentiel du contrat de travail ». Dans sa version actuelle datant de 2018, le législateur s’est efforcé de donner à l’article L. 1233-3 un contenu plus didactique, en y intégrant des précisions en termes de ratios, ainsi que des éléments issus de la jurisprudence de la Cour de cassation. L’emploi de l’adverbe « notamment » donne à cette définition légale un caractère non exhaustif, laissant à l’employeur la faculté de motiver un licenciement pour motif économique en s’appuyant, s’il le souhaite, sur d’autres caractéristiques que celles visées aux items 1° à 4°, sous réserve de l’appréciation que pourront en faire les juges.

  • Enfin, l’article L. 1222-6 fixe au salarié destinataire de la proposition le délai (un mois ou 15 jours, selon les cas) dans lequel il doit, le cas échéant, faire connaître à l’employeur son refus de la modification proposée. Avec une particularité : par dérogation au droit commun, le silence gardé par le salarié vaut acceptation de la modification proposée.

II – Modification du contrat de travail : quelques repères méthodologiques

Les articles L. 1222-6 et L. 1233-3 s’imbriquent étroitement l’un dans l’autre. Pour autant, aucun des deux ne dicte précisément à l’employeur ce qu’il doit écrire à son salarié lorsqu’il doit lui proposer une modification de son contrat de travail pour cause économique. La solution à retenir se trouve en empreinte creuse, au fil des jurisprudences rendues en la matière. Nous ne verrons ici que le contexte de la modification individuelle du contrat de travail d’un salarié « non protégé » ; la modification collective des contrats de travail comme la modification du contrat de travail des salariés protégés faisant appel à d’autres règles, impliquant notamment l’intervention des représentants du personnel.

a) La lettre recommandée avec AR : un impératif

Le formalisme de la lettre recommandé avec AR est exigé par l’article L. 1222-6. Il doit impérativement être respecté pour donner date certaine au point de départ du délai de réflexion : il s’agit d’une formalité substantielle. A défaut, l’employeur ne peut se prévaloir ni d’une acceptation, ni d’un refus du salarié (Cass. Soc., 25/01/2005, n° 02-41819 ; Cass. Soc., 28/09/2016, n° 15-16775). Le licenciement découlant de la réponse apportée par le salarié à une lettre de l’employeur qui ne serait pas conforme à l’article L. 1222-6 prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette lettre doit :

– Comporter – même si ce n’est pas expressément prévu par l’article L. 1222-6 – les raisons pour lesquelles l’employeur envisage de modifier le contrat de travail de l’intéressé, par référence à l’une ou l’autre des raisons prévues par l’article L. 1233-3. L’employeur doit donc réfléchir à sa motivation bien en amont de la modification projetée. Il aura tout intérêt à être le plus précis possible, sachant que cette même motivation devra ensuite être reprise, en cas de refus du salarié, dans tous les documents afférents à la procédure de licenciement pour motif économique à proprement parler.

– Comporter la proposition de modification du contrat de travail, c’est-à-dire les éléments du contrat de travail que l’employeur envisage de modifier, ainsi que la date d’effet de la modification. L’employeur consacrera un soin tout particulier à rédiger et motiver le plus précisément sa proposition de modification du contrat de travail. Il veillera à la rendre cohérente et pertinente avec le motif économique invoqué comme étant à l’origine de la modification et ce, afin d’éviter, dans la mesure du possible, toute difficulté d’interprétation. Même si cela n’est pas obligatoire, le rédacteur aura tout intérêt, au préalable, à rappeler à son interlocuteur la situation existante de son contrat de travail à l’instant T, avant de lui présenter la modification envisagée à proprement parler. Ceci aura le mérite de clarifier la proposition et de mieux en faire comprendre les enjeux ; que ce soit à l’égard du salarié dans un premier temps, comme auprès du juge, dans la perspective d’un éventuel contentieux. Pour cela, l’employeur retiendra une formulation du type :

« Actuellement, votre situation contractuelle est la suivante… (décrire la situation existante)

A compter du… (date envisagée pour la modification, nécessairement postérieure au délai de réflexion d’un mois), votre situation contractuelle sera la suivante :… (décrire la situation envisagée) »

– Indiquer que le salarié dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette lettre pour faire connaître son refus.

b) Précisions sur le délai d’un mois

Il s’agit d’un délai de réflexion destiné à permettre au salarié de se prononcer sur la modification projetée. Il est incompressible et l’employeur ne peut mettre en œuvre à l’égard du salarié la modification projetée avant l’expiration de ce délai. L’employeur ne peut pas non plus engager le licenciement du salarié concerné avant l’échéance du délai d’un mois, quand bien même le salarié aurait exprimé son refus avant l’expiration dudit délai (Cass. Soc., 04/07/2012, n° 11-19205). La loi n’exige pas que la lettre recommandée avec AR précise au salarié les conséquences de son refus (Cass. Soc., 01/03/2006, n° 04-44742). Pour autant, pour les raisons déjà évoquées, l’employeur a tout intérêt à être le plus didactique possible dans la rédaction de cette lettre, en y insérant une formulation telle que, par exemple (à adapter au cas par cas) :

  • « Si vous acceptez la modification proposée, celle-ci prendra effet à compter du… (date qui ne peut être antérieure à l’échéance du délai de réflexion) ».
  • « Si vous refusez la modification proposée, nous procéderons à une recherche de reclassement. En cas de d’échec de cette dernière, nous n’aurons pas d’autre choix que de procéder à votre licenciement pour motif économique ».

Le délai légal de réflexion d’un mois devra être comparé aux dispositions conventionnelles éventuellement applicables à l’entreprise en la matière, qui peuvent éventuellement prévoir un délai plus long (par exemple, six semaines au lieu d’un mois). L’employeur devrait alors privilégier ce délai de réflexion conventionnel, comme étant plus favorable au salarié.

Outre l’obligation conventionnelle éventuellement mise à sa charge, rien n’interdit à l’employeur d’augmenter volontairement le délai de réflexion imparti au salarié (en le passant de 1 mois à 2 mois, par exemple). Pour des raisons de loyauté et de bonne foi, dès lors que le calendrier du projet lui en laisse la possibilité, l’employeur a également tout intérêt à laisser au salarié un délai plus long pour lui permettre de s’organiser (notamment au plan familial, si la modification du contrat de travail devait entraîner son déménagement).

Enfin, à supposer que le salarié refuse la modification de son contrat de travail et que l’employeur échoue dans sa recherche de reclassement, va se poser la question de la procédure de licenciement pour motif économique.

III – La procédure de licenciement individuel pour motif économique

  • L’employeur va devoir convoquer le salarié un entretien préalable (art L. 1233-11 à L 1233-14 C. travail), comme en matière de licenciement pour motif personnel ; entretien qui ne pourra avoir lieu moins de 5 jours ouvrables après présentation de la lettre recommandée avec AR de convocation, ou remise en main propre contre décharge (art. R. 1233-19 C. travail).
  • Lors de cet entretien, selon le cas, l’employeur lui proposera un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ou l’informera sur le congé de reclassement. Le salarié disposera d’un délai de 21 jours courant à compter du lendemain du jour de la remise du dossier CSP (donc, en principe, du lendemain du jour de l’entretien préalable), pour accepter ou refuser le CSP. L’absence de réponse dans ce délai vaudra refus.
  • À défaut d’avoir pu reclasser le salarié et après un délai d’attente courant à compter de la date fixée pour l’entretien préalable (7 jours ouvrables pour un non-cadre, 15 jours ouvrables pour un cadre), l’employeur notifiera le licenciement pour motif économique au salarié concerné (art. L. 1233-15 et L 1233-16 C. travail).
  • Enfin, dans les 8 jours suivant l’envoi de la lettre de licenciement, l’employeur en informera par écrit la DREETS compétente (art. L. 1233-19 et D 1233-3 C. travail).

IV – Quid de la motivation du licenciement pour motif économique et de l’articulation avec le CSP ?

Lorsqu’il établit son calendrier de procédure de licenciement pour motif économique, l’employeur doit prendre en compte 2 éléments importants :

  • L’articulation du délai de réflexion du salarié sur le CSP et le délai d’attente avant notification du licenciement :

S’agissant d’un non-cadre, L’employeur doit attendre au moins jusqu’au 8è jour ouvrable suivant l’entretien préalable pour notifier le licenciement, mais n’est pas obligé d’attendre la fin du délai de réflexion de 21 jours ouvert au salarié. Il peut donc lui notifier son licenciement à titre « conservatoire ». La lettre de licenciement doit notamment rappeler au salarié la date d’expiration du délai de réflexion de 21 jours et préciser que, pour le cas où il refuserait le CSP, cette lettre vaudrait notification du licenciement. En pratique, afin d’éviter toute confusion, l’employeur aura intérêt à attendre l’expiration effective du délai de 21 jours avant de notifier le licenciement pour motif économique, en toute connaissance de la position prise par son salarié. Le décalage entre le calendrier CSP et celui de la notification du licenciement fait que le salarié peut être amené à accepter le CSP rapidement et ce, avant même de connaître le motif économique du licenciement qui ne lui sera notifié que plus tard.

  • Le CSP étant spécifique aux procédures de licenciement pour motif économique, le salarié doit pouvoir l’accepter (ou le refuser) après avoir été informé de l’existence dudit motif.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a jugé que l’énonciation du motif économique devait impérativement intervenir au plus tard au moment de l’acceptation par le salarié de la CRP (Cass. soc. 30/11/2011, n° 10-21678 ; Cass. Soc. 12/06/2012, n° 10-14632 ; Cass. Soc., 15/04/2015, n° 14-10090). Depuis, ces mêmes solutions ont été transposées au CSP, le schéma d’adhésion étant identique (Cass. Soc., 22/09/2015, n° 14-16218 ; Cass. Soc., 16/11/2016, n° 15-12293). À défaut de pouvoir justifier avoir fourni au salarié cette information en temps utile, l’employeur verra son licenciement privé de cause réelle et sérieuse. Il découle de ce qui précède que l’employeur doit énoncer le motif économique dont il se prévaut (ainsi que la mention du bénéfice de la priorité de réembauche) :

– Soit dans le document écrit d’information sur le CSP remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement.

Dans ce cas, l’employeur aura intérêt à rédiger une note d’information qu’il remettra au salarié avec le dossier CSP, lors de l’entretien préalable. Afin de ne pas être accusé d’avoir notifié le licenciement par anticipation, l’employeur précisera sur cette note que sa délivrance ne vaut pas notification de licenciement et n’a d’autre objet que d’informer le salarié du contenu envisagé du projet.

– Soit dans tout autre document écrit, porté à la connaissance du salarié au plus tard au moment de son acceptation ;

– Et, en tout état de cause, dans la lettre de licenciement ; qu’il s’agisse de la lettre de licenciement « conservatoire » qu’il adressera au salarié lorsque le délai de réponse à la proposition de CSP expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement, ou de la lettre de licenciement qu’il lui enverra en cas de refus du CSP.

V – Nouvelle illustration : arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2021 (n° 19-25016)

  • Les faits – la procédure :

Depuis 1998, une société employait une secrétaire commerciale à Strasbourg. Le 24 juillet 2014, elle l’informait de sa mutation dans l’Aude et, le 9 septembre 2014, la salariée informait l’employeur de son refus. Lors de l’entretien préalable du 17 septembre 2015, l’employeur lui proposait le CSP et motivait sa décision par le déménagement définitif du siège social de l’entreprise, le refus de mutation de la salariée et l’impossibilité de la reclasser.

Dans la lettre de licenciement pour motif économique du 30 septembre 2015, l’employeur reprenait ces mêmes motifs, en précisant que le déménagement intervenait dans le cadre d’une réorganisation « visant notamment à optimiser les coûts et à améliorer la synergie du personnel ». La salariée adhérait au CSP, puis contestait son licenciement.

Le 29 octobre 2019, la Cour d’appel de Colmar juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que le seul refus par la salariée d’une modification de son contrat de travail ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement, dès lors que l’employeur n’avait pas allégué que la réorganisation de l’entreprise justifiant la mutation résultait de difficultés économiques, de mutations technologiques où était indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise afin de prévenir des difficultés économiques et leurs conséquences sur l’emploi. Les juges d’appel relèvent que la lettre proposant le CSP est muette sur ce point et que la lettre de licenciement se contente de faire état d’une réorganisation ayant pour finalité l’optimisation des coûts et l’amélioration de la synergie du personnel.

L’employeur forme un pourvoi en cassation. Il considère qu’en invoquant la réorganisation de l’entreprise et le refus par la salariée de sa mutation géographique, sa lettre de licenciement était suffisamment motivée, même si elle ne précisait pas si cette réorganisation était justifiée par des difficultés économiques ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. Pour l’employeur, si les précisions requises par le Code du travail ne figuraient ni dans la lettre de proposition du CSP ni dans la lettre de licenciement, il appartenait aux juges du fond de rechercher eux-mêmes si la réorganisation invoquée était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité.

  • La décision :

Dans son arrêt du 29 septembre, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle relève que l’employeur n’avait pas soumis à la salariée la proposition de modification du contrat de travail prescrite par l’article L. 1222-6 du Code du travail. En l’absence du respect de cette procédure, l’employeur ne pouvait pas se prévaloir du refus de la salariée et le licenciement en résultant était privé de cause réelle et sérieuse.

Cet arrêt confirme la position déjà adoptée à maintes reprises par la Cour de cassation et doit inviter les employeurs au respect scrupuleux du cadre juridique comme des termes des articles L. 1222-6 et L. 1233-3 du Code du travail ; que ce soit pour rédiger la proposition de modification du de travail pour cause économique, la note de motivation économique du CSP et, bien sûr, la lettre de licenciement pour motif économique à proprement parler.

A télécharger : Cass. Soc. 29 septembre 2021, n° 19-25016, « Smithers Oasis France c./ Mme R »