Licenciement pour inaptitude et état de grossesse, l’impossible mariage (Cass. soc, 3 novembre 2016, n° 15-15.333)

Si, après un avis d’inaptitude en bonne et due forme, l’employeur a connaissance de l’état de grossesse médicalement constaté de sa salariée, il ne peut plus la licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

C’est en substance la décision que vient de rendre la Cour de Cassation dans un arrêt du 3 novembre 2016, publié au Bulletin.

Les faits étaient les suivants :

A l’issue d’un congé de maternité, une salariée avait été placée le 4 mars 2009 en arrêt maladie. Lors de la visite médicale de reprise, le 12 mars 2009, le médecin du travail l’avait déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise en un seul examen, avec mention de danger immédiat.

Le 7 mai 2009, la salariée informait son employeur de son état de grossesse, en lui adressant un certificat médical l’attestant.

Le 30 juillet 2009, la salariée était licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La salariée invoquait la nullité de son licenciement ; solution retenue par la Cour d’appel de Bordeaux dans son Arrêt du 28 janvier 2015.

Dans son pourvoi, l’employeur avançait les arguments suivants :

1°) L’article L 1225-4 du Code du travail prévoit que le licenciement d’une femme en état de grossesse médicalement constatée est possible s’il justifie :

– d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse ;

– ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à      la grossesse ou à l’accouchement.

Selon l’employeur, une lettre de licenciement qui précise que le motif de licenciement est l’inaptitude à tout poste et l’impossibilité de reclassement, répond bien à cette 2ème condition.

2°) La Cour d’appel aurait dû rechercher si l’inaptitude et l’impossibilité de reclassement rendaient impossible le maintien du contrat de travail pour un motif étranger à l’état de grossesse de la salariée.

  • La décision de la Cour

La Cour de cassation rejette les arguments de l’employeur et fait une lecture rigoureuse de l’article L. 1225-4 et de ses conséquences.

Après avoir rappelé que toute lettre de licenciement doit être motivée, conformément à l’article L. 1232-6 du Code du travail, la Cour de Cassation adopte un raisonnement en deux temps :

– Le licenciement d’une salariée en état de grossesse ne peut strictement intervenir que dans l’une ou l’autre des deux seules situations expressément visées à l’article L. 1225-4 du Code du travail.

– En l’espèce, la Haute Cour constate que la lettre de licenciement ne mentionnait expressément aucun des deux motifs.

La Cour en tire comme conséquence que le licenciement était nul.

Elle ne retient pas l’argument de l’employeur, selon lequel l’inaptitude avec danger grave et immédiat et impossibilité de reclassement constituait bien une situation qui rendait impossible le maintien du contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

Pour sa part, la Cour d’appel avait retenu que la lettre de licenciement n’avait pas expressément exclu tout lien entre l’inaptitude de la salariée et son état de grossesse. En effet, la salariée avait accouché en décembre 2008 d’un enfant sans vie et la Cour d’appel avait relevé que l’arrêt de travail du 4 mars 2009 était consécutif à un « syndrome anxio-dépressif du post mortem ».

Il n’est donc pas impossible que les magistrats aient pris en compte la  cause de l’arrêt de travail de la salariée du 4 mars 2009 pour en déduire que l’inaptitude constatée par le médecin du travail le 12 mars 2009 n’était pas totalement « étrangère à la grossesse », selon la formulation de l’article L. 1225-4 du Code du travail.

  • Un arrêt qui s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation

La Haute Cour a déjà eu à maintes reprises l’occasion de se référer aux dispositions combinées des articles L. 1232-6 et L. 1225-4 du Code du travail :

Lorsqu’il licencie une salariée en état de grossesse médicalement constatée, l’employeur doit préciser, dans la lettre de licenciement, le ou les motifs non liés à l’état de grossesse ou à l’accouchement pour lesquelles il se trouve dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pendant les périodes de protection dont bénéficie la salariée.

Sinon, le licenciement est nul.

L’articulation de ces deux articles du Code du travail impose à l’employeur qui invoque l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, de la caractériser explicitement dans la lettre de licenciement.

Ainsi, il a été jugé que l’impossibilité de maintenir le contrat de travail n’est pas caractérisée, ce qui rend le licenciement nul :

– Lorsque la lettre de licenciement se contente d’invoquer des difficultés de gestion d’un point de vente, du fait de l’absence de la salariée, sans mentionner ni expliciter l’impossibilité de maintenir le contrat de travail (Cass. soc. 11 juillet 2012, n° 11-13685).

– Lorsque la lettre de licenciement se contente de mentionner un motif économique de licenciement : il ne constitue pas en soi une impossibilité de maintenir le contrat travail d’une salariée enceinte, à défaut, pour la lettre de licenciement, d’invoquer expressément l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse (Cass. soc. 19 novembre 1997, n° 94-42540).

  • Rappel : la loi « Travail » a substantiellement allongé la période de protection de la maternité

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels » (JO du 9) a allongé de 4 à 10 semaines la période de protection consécutive au congé de maternité.

De plus, si la salariée accole des congés payés immédiatement après le congé de maternité, cette période de 10 semaines débute à l’expiration de ses congés. L’article L. 1225-4 du Code du travail a été modifié en conséquence.

Dorénavant, en cas de nullité du licenciement, parmi les diverses indemnisations que la salariée sera en droit de percevoir, il faudra également que l’employeur prenne en compte les salaires à courir jusqu’à la fin de la nouvelle période de protection ainsi définie ; soit 10 semaines après la fin du congé maternité, période qui pourra encore être allongée si la salariée prend ses congés payés immédiatement à l’issue de son congé de maternité.

A télécharger : Cass. soc, 3 novembre 2016, n° 15-15333